Le Rap, communément associé dans les imaginaires et les médias à la virilité et l’agressivité, serait un style musical par essence masculin – une idée renforcée dans les textes, les clips, par des représentations ultra-sexualisées de femmes-objets, et parfois une violence misogyne dans les propos. S’il est indiscutable que certains chanteurs affichent un sexisme nauséeux et révoltant, on peut s’agacer de la stigmatisation systématique du rap et d’un discours cliché qui voudraient faire croire à une uniformité de profils et de contenus, contribuant notamment à l’invisibilisation des rappeuses et de leurs paroles fortes et multiples qu’il est urgent de mettre en avant.
Programmée au fil le 7 octobre prochain, la rappeuse Cœur explique : “Le rap n’est pas plus machiste que les autres milieux de la musique, et m’a sûrement mieux accueillie. Le sexisme est systémique.” Une vision partagée par Mathieu Hérault, programmateur du fil, qui souligne que la scène rap était “très masculine jusqu’à très peu, à l’instar de tous les styles. »
Soutenir la création féminine
Aujourd’hui la représentativité n’est toujours pas là, il y a encore beaucoup de machisme mais ça avance presque plus que sur les autres scènes. On a à cœur de soutenir la création féminine.” Cette exigence se confirme notamment dans la programmation d’octobre avec les concerts de Cœur et Chilla le 7, d’Aloïse Sauvage le 20. Une programmation décidément placée sous le signe du “girl power” avec Star Feminine Band, groupe béninois exclusivement féminin qui dans un autre genre musical, impulse un salutaire: “Femme africaine, sois forte, sois indépendante”
Mais revenons au rap – défini par Cœur comme « plus cash » que les autres styles – qui constitue un vivier où les rappeuses clament et revendiquent haut et fort leur vision du monde et leurs désirs. Que ce soit en dénonçant le sexisme dans des morceaux comme Si j’étais un homme et Sale Chienne, de Chilla, ou en évoquant le consentement et la féminité comme Aloïse Sauvage dans Croc Top, leurs voix contribuent à faire évoluer les mentalités et casser les stéréotypes. En se réappropriant les codes du genre et libérant les paroles, elles construisent des modèles qui échappent au male gaze (culture imposée par un modèle d’homme hétérosexuel), en affichant aussi bien une sensualité sans complexe, qu’en la détournant ou en l’évitant. Des affirmations propres à chacune, dont elles décident pleinement malgré les difficultés et préjugés – Chilla indique ainsi avoir délibérément bridé sa féminité aux débuts de sa carrière par peur d’être restreinte à un unique rôle de séductrice.
Donner de la force
Ces rappeuses, dans une perspective d’empouvoirement, s’émancipent aussi bien dans leurs morceaux que sur scène, ou encore sur les réseaux sociaux, à l’image de Wejdene.
Il serait cependant simplificateur de considérer les rappeuses comme un groupe homogène, niant leurs complexités propres et leurs singularités musicales et poétiques, en ne les mettant en lumière que par le prisme du genre.
“On est tout le temps en train de se définir par notre lutte et j’ai beaucoup souffert de ça, poursuit Cœur. J’ai envie de donner de la force, pas seulement envie de dire que ça va être l’enfer.” De la force, c’est ce que nous offrent assurément ces quatre rappeuses aux identités et esthétiques plurielles. Le chemin de l’égalité reste à parcourir, chemin qui ne pourra être sillonné et franchi qu’à l’aide de toutes et tous.
Luna Baruta
Prenez votre place :
Star Feminine Band – concert coup de coeur le 6 octobre 2022