Via la multiplicité des plateformes d’écoute, des radios et l’industrie du disque, l’accès à la diversité musicale semble aujourd’hui sans limite. On peut cependant observer l’uniformisation de la musique mainstream, ainsi qu’un formatage des artistes propulsé·e·s sur le devant des scènes. Pour cause, lorsqu’un genre rencontre un succès commercial, de grands moyens sont investis par les majors pour suivre et faire vivre cette tendance, jusqu’à essouffler ce genre et gommer toute particularité. Les formats préférentiels des radios – chanson de trois minutes, fabrication de « tubes » – vont conditionner les artistes à composer et penser les morceaux d’une telle manière. Aussi, la loi Toubon, mise en application en 1996 et visant à protéger le patrimoine linguistique français, est aujourd’hui discutée : en imposant aux radios des quotas de chansons francophones, elles se concentrent sur quelques titres diffusés en boucle et peuvent déterminer le choix des artistes quant à l’écriture des paroles.
Des injonctions desquelles certain·e·s artistes se désencombrent, et qui affirment leur indépendance face aux diktats d’une certaine « recette du tube ». Ainsi, Jeanne Added, en concert le 15 mars au fil, use du français comme de l’anglais, affirmant haut et fort l’importance primordiale de son expression propre, pensée et élaborée selon les morceaux, les propos et les sensibilités de chaque chanson. C’est également le cas d’Izïa – programmée le 3 février – et Pomme – le 17 février –, qui oscillent entre les deux langues.
Cette liberté, faisant fi des attentes formatées, s’étend au sein de leur création sur bien des domaines, en déjouant notamment les attentes sociétales et les clichés. S’échapper d’une sexualisation genrée systématique, par réaction comme ce fut le cas pour Pomme, qui confia à Mediapart avoir été harcelée moralement et sexuellement au début de sa carrière, ou en réduisant à néant des cases prédéterminées d’un certain type de féminité, comme l’androgyne Jeanne Added, qui s’oriente pour son dernier album vers une incarnation de femme fatale vêtue de latex.
Loin de pouvoir les circonscrire, elles balayent également les frontières musicales, Jeanne Added en naviguant entre le rock, la pop et le jazz, ou comme le prouve le cinquième album d’Izïa, radicalement différent des précédents, aux tonalités électro-pop et aux paroles sillonnant le thème de la rupture amoureuse. Fortes d’une détermination et de sensibilités singulières, ces artistes, par leur art et aussi bien sur le fond que sur la forme, font bouger les lignes en ne s’imposant aucune limite, et reflètent les réflexions et affirmations contemporaines, revendiquant une hybridation et une diversité essentielles.
Luna Baruta